Vidangeur : personne qui ramasse les vidanges
Cuisinier : personne qui fait la cuisine
Serveur : personne qui s'occupe du service
Ingénieur : personne spécialisée en ingénérie
Artiste : personne qui fait de l'art
...
Hier, j'ai assisté à un souper de filles. Eh boy!
J'ai un ami qui rêvait de participer aux soupers de filles de ses
amies. Pour sa fête, elles ont réalisé son souhait. L'affaire c'est qu'elles
ont aussi invité les garçons... déguisés en filles. Quand il est arrivé, elles
l'ont déguisé également. Il a eu le droit à la totale. Et nous aussi par la
bande. Mascara, fond de teint, rouge à lèvre, ombre à paupières, parfum, masque
de beauté, manucure (ça messieurs, ça vaut la peine!), crèmes, crèmes et
re-crèmes, pour la face, les mains, les bras, les pieds, discussion à propos de
la perception que la femme a d'elle-même et des autres femmes, lecture de
magazines de filles, table ronde de réponses aux questions des magazines de
filles, etc. La totale.
À un moment de la soirée, on jase entre filles et on arrive (sans
faire exprès) à La-discussion-à-propos-des-artistes. Ceux qui côtoie de près ou
de loin des artistes savent à quel point La-discussion-à-propos-des-artistes
est une entité bien concrète. Il faut l'écrire de même, c'est un peu gossant,
mais c'est ça (je ne l'écrirai pas une troisième fois en trois phrases, mais
vous pouvez la rajouter dans votre tête). C'est un genre de variation sur un
même thème, super intéressante la première fois, dont on apprend à se méfier au
fil du temps et qu'on finit par redouter comme une mouffette avec la queue dans
les airs. Eh bien, CONTRE TOUTE ATTENTE, celle-là été non seulement fort
rafraîchissante, mais également : instructive. Noooooon? Ben oui. TRÈS.
Ceux qui me connaissent savent combien je me méfie des « artistes »
(entre guillemets, mieux vaut le contenir ce mot-là, sinon il pourrait se
lâcher lousse et me scrapper mon texte). Je me méfie des « artistes »
comme on se méfie d'un bonhomme louche qui déambule dans un parc avec les
jambes nues comme s'il faisait chaud et un manteau long comme s'il faisait
froid. Pour le dire simplement, il n'est peut-être pas condamné d'avance, mais
il n'a pas vraiment de marge de manoeuvre. À l'instar de mon vieux pervers, les
gens qui s'autoproclament « artistes » on souvent tendance à nous
déballer des choses qu'on n'a pas nécessairement envie de voir, ou le cas
échéant, d'entendre. Les Artiiischstes ont une fâcheuse tendance au
pétagedebroutisme, au namedroppingisme et à une couple d'autres néologismes
tellement laittes que j'ai même pas envie de les inventer. Les
Artiiischtes prononcent leur titre comme si ça les élevait au dessus du
vidangeur, du cuisinier, du serveur et même (sacrilège!), de l'ingénieur (ne
pas confondre avec les gningnégnieurs qui eux, sont les artiiiichstes de leur
profession).
Affublé d'un chapeau de Fraisinette et d'une brassière rouge à
100$, complètement inconscient de mon léger préjugé, le fêté — lui-même
musicien — nous parle de sa vision de l'artiste. Son discours tient à peu de
chose :
« Artiste, c'est juste une catégorie de monde. Un vidangeur,
c'est une personne qui ramasse les vidanges. Un artiste, c'est une personne qui
fait de l'art. Plusieurs artistes se prennent trop au sérieux, mais il y a
différents types d'artistes, avec différents tempéraments... comme il y a
plusieurs types de vidangeurs, d'infirmières ou de serveurs. »
Pouf. Fuiiiiiiiiiiiiiiiiiii. Ça, c'était le son de ma balloune qui
pète et qui se dégonfle. Une bonne chose. Il a raison le fêté. Artiste, c'est
juste un mot. Certains se le sont approprié pour en faire quelque chose qui ne
me plait pas et sont devenus les principaux représentant de la race, ou du
moins, les plus voyants. Je peux prendre le mot et faire ce que je veux avec.
Artiste, c'est une personne qui fait de l'art. Je suis une personne qui fait de
l'art. J'ai passé les quinze dernières années de ma vie à jouer de la musique,
composer, écrire, créer. Pendant 15 ans, je me suis donné, j'ai choisi de me
donner le maximum de temps pour faire ça, en vivant d'ultra-simplicité
ultra-volontaire et de pauvreté pas nécessairement nécessaire, en me faisant
donner des meubles, de la vaisselle, du linge, des lifts par mes généreux amis
(merci groupe), en jouant dans le métro, en refusant la majorité des compromis.
Pourquoi? Pour consacrer ma vie à créer. Parce que je l'ai dans le sang.
Parce que ça m'appelle pour vrai. Le blues du business man (arche!), ça ne
m'arrivera jamais, même pas inquiet. Je suis à l'abris de ça pour toujours.
Garanti. 100% bluesdubusinessman-proof. Je deviendrais serveur, banquier
ou rédacteur publicitaire et je serais pas moins artiste. Une personne qui fait
de l'art.
Mais mes découvertes de la soirée ne s'arrêtent pas là! Ma grande
culpabilité au sujet d'être un artiste vient, ou plutôt venait, du fait qu'on
ne produit pas quelque chose d'essentiel. Le travail de l'artiste est superflu.
Je disais dans mon dernier
billet que c'est la vie qui compte avant tout et qu'il faut bâtir le
château à l'endroit. Il y a des gens qui meurent de faim, partout, même dans la
ruelle à côté de chez nous. Il y a des malades, de la tristesse, de la guerre, [note
à moi-même : insérer ici la liste exhaustive des calamités terrestres],
etc. Laissez les vidanges de la ville s'accumuler pendant 6 mois et, après
avoir pilé sur un rat crevé gros comme un ours, prenez une grande bouffée d'air
pour voir qui, de l'artiste ou du vidangeur, fait le travail le plus important.
Voilà ce que je pensais.
Hier, j'ai raconté ça à une infirmière. Une vraie infirmière là,
pas un gars avec un faux suit,
une perruque et un masque de co-combre. Dans son infinie bonté, elle m'a
raconté le bien que les créateurs lui procurent après une journée de travail.
Elle a même dit qu'elle ne pourrait pas faire son travail si les artistes
n'existaient pas.
Re-pouf. Re-fuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii. Faut bâtir le château à
l'endroit, d'accord. Mais tout le monde n'a pas le même rôle dans la
construction du château. Tout le monde doit participer, mais tout le monde doit
faire ce qu'il a à faire. Mon rôle à moi, c'est peut-être de jouer de la
musique et d'écrire des textes poignants le temps que d'autres ont les mains
dans le sang et dans le caca... pauvre gars! Et si je m'y attarde pour y penser,
je les imagine s'acquitter vaillamment de leur tâche pendant que je fais du chichi et une petite crise existentielle tranquille au
lieu de m'occuper de ce que j'ai à faire. Si j'étais à leur place, ça fait longtemps
que je serais en beau fusil en train de crier : « Tu vois ben qu'on a
les mains dans marde! Ça nous fait plaisir de s'occuper de d'ça, mais chante
maudit : chaaaaaaante! »... et, ma colère dissipée, j'ajouterais
d'une voix plus tranquille : « By the way, tu peux écrire
aussi, l'un n'empêche pas l'autre, je te rappelle qu'on a les mains dans marde. »
Comme le gars qui rentre à la job à onze et quart une journée où
il y a de l'overtime à
faire, je terminerai cette brillante réflexion avec ceci. Merci pour votre patience tout
le monde, je pense que je vais me mettre à l'ouvrage.
L'artiste.
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La fameuse conversation à propos de l'art par Daro. |
[Ça date pas d'hier. La ressemblance avec moi est "purement fortuite" (hum)]