lundi 27 février 2012

Ishmael: ce petit livre qui pourrait sauver l'humanité


QUINN, Daniel. Ishmael An Adventure of the mind and spirit. New York, Batam Books, 1992, 268 p.

On accuse souvent le capitalisme occidental d'être la cause de tous les maux de la planète. Et pourtant, selon l'auteur Daniel Quinn, l'homme a probablement commencé à faire fausse route il y a 10 000 ans.

En moins de 300 pages, le roman Ishmael a bouleversé ma perception même de l'existence. Je ne saurais trop vous recommander ce petit livre qui pourrait, ni plus ni moins, sauver l'humanité!

Sous la forme d'un dialogue entre un tuteur et son pupille, Quinn nous démontre l'idéologie dramatique qui s'est imposée à l'humanité presque entière il y a 10 000 ans avec l'invention de l'agriculture. L'idéologie ancrée dans la majorité d'entre nous et qui nous conduit droit à notre perte. À partir de là, selon l'auteur, l'humanité s'est divisée en deux: les Takers et les Leavers.

Les Takers
"Are you certain that any species that, as a matter of policy, exempt itself from the law of limited competition will end by destroying the community to support its own expansion?" (QUINN, p.143)

Avant l'invention de l'agriculture, l'homme a évolué comme n'importe quel animal. Il n'était ni plus ni moins qu'une branche avancée de l'évolution, résultat d'une longue série d'adaptation réussies à son environnement. Une branche avancée de l'évolution, mais toujours soumise aux éléments, soumise à la nature et vivant avec elle, grâce à elle et aussi pour elle.

À partir du moment où elle parvint à dominer la nature, la majorité de l'humanité en vint à la conclusion que l'évolution s'arrêtait avec l'homme. Selon la culture des Takers, l'homme est l'aboutissement ultime de l'évolution. L'homme est au dessus de la nature et au dessus des dieux. L'homme est parfait, il sait discerner le bon du mauvais et le vrai du faux. Dès lors, le reste du monde n'existe que pour servir les Takers. Et tous  les hommes, puisqu'ils sont eux aussi l'aboutissement ultime de l'évolution, sont appelés à être convertis à l'idéologie des Takers. Peu importe leurs croyances initiales. Les Takers ne se contentent pas de vivre dans l'espace qui leur est imparti, ils éliminent la compétition pour la nourriture et la compétition idéologique. 

Le tuteur démontre à son élève que si les hyènes de la savane éliminaient tous les lions sous simple prétexte qu'ils leurs volent leurs proies, si elles éliminaient systématiquement les herbivores qui consomment l'herbe de leurs proies et si elles éradiquaient toutes les plantes qui ne servent pas de pâture à leurs proies, elles deviendraient bientôt le seul prédateur sur terre et les seuls organismes qui survivraient seraient ceux qui servent à le nourrir. Voilà où mène la mentalité Takers appliquée à n'importe quelle espèce. À ce compte, si l'australopithèque ou l'homo erectus avait eu cette mentalité, l'homme moderne n'aurait probablement jamais vu le jour.

Les Leavers
"The premise of the Takers story is the world belongs to man. (...) The premise of the Leavers story is man belongs to the world." (QUINN, p.239)

Les Leavers sont des cueilleurs-chasseurs ou des agriculteurs qui ont choisi de vivre selon un mode de vie qui leur convient sans jamais se percevoir comme étant l'aboutissement ultime de l'évolution. Des lors, ils acceptent de vivre dans les limites imposées par la nature et ne prétendent pas détenir la vérité. Ils acceptent même de restreindre leur propre capacité de croître pour ne pas empiéter sur la diversité et s'intégrer au monde.

Les conséquences des deux modes de vie
"In a billion years, wathever is around then, who-ever is around then, says, 'Man? Oh yes, man! What a wonderfull creature he was! It was within his grasp to destroy the entire world and to trample all our futures into the dust- but he saw the light before it was to late and he pulled back. He pulled back and gave the rest of us a chance. He showed us all how it had to be done if the world was to go on being a garden forever. Man was the role model for us all!'" (QUINN, p.242)

En bout de ligne, les Takers comme les Leavers se dirigent vers une destinée en lien avec leur propre perception du monde.

Avec une masse critique de Takers, l'homme devient réellement la finalité de l'évolution. Tout n'existe que pour le nourrir et il croîtra jusqu'aux limites de l'univers. Rien de mieux avant lui. Rien de mieux à part lui. Et après lui: plus rien.

Avec une masse critique de Leavers, l'homme accepte qu'il fait partie d'un tout plus grand que lui et accepte qu'il doit se restreindre s'il souhaite que la vie se poursuive après lui. Comme première créature terrestre à maîtriser la nature, il a l'opportunité de permettre à l'évolution toute entière de se poursuivre plutôt que de s'éteindre avec lui.

Agir en Leaver (au-delà du roman)
"It isn't the tale that you tell that counts, it's the way you actually live" (QUINN, p.147)

À partir des conclusions tirées par l'auteur (et peut-être qu'il sous entend tout ça implicitement), je dirais qu'on a tendance à agir en Takers à l'échelle individuelle. Peu importe ce qu'on en dit, on se considère comme la finalité de l'évolution. On s'imagine détenir la vérité. On croit que tout le monde devrait adopter notre manière de penser. On est prêt à négliger les autres pour mieux vivre. On refuse de se restreindre.

Agir en Leavers améliorerait nos relations. En acceptant que l'on n'est pas parfait, on accepterait de faire partie d'un tout, on ne se croirait pas supérieur aux autres et on ne prétendrait pas détenir la seule bonne manière de penser. En acceptant notre imperfection, on se remettrait plus facilement en question et on pourrait évoluer plus facilement. On laisserait les autres croître dans la différence en sachant que nos propres choix de vie seront respectés.

Agir en Leavers modérerait notre consommation. Les Takers refusent de se priver de choses importantes pour eux. Les gens qui recyclent jugent qu'ils méritent d'avoir deux voitures. Les gens qui n'ont qu'une voiture méritent de manger de la viande sept jours sur sept. Les végétariens méritent d'aller en voyage en avion trois fois par ans. Et les gens qui ne voyagent pas méritent de ne pas recycler. Agir en Leavers nous aiderait à restreindre notre croissance sans toujours nous justifier.

À un moment dans le roman, l'auteur illustre combien il est difficile d'aller à contre courant en comparant le chemin du Leaver à celui d'une bête qui tenterait d'aller à contre courant au milieu d'un énorme troupeau en course dans une même direction. 

Personnellement, je ne peux plus vivre en ne faisant rien sous prétexte que d'autres ne font rien, pas assez, ou que ça ne sert à rien. J'ai commencé à bouger. J'ai fait de grands pas sur certains points, de petits pas sur d'autres. Je veux pouvoir me regarder moi-même et me dire que les fables que je raconte sont en lien avec ma pensée et avec ma manière de vivre.

Les heures que j'ai passées à lire ce livre plutôt qu'à regarder la télé; le temps que j'ai pris pour extraire et partager les éléments essentiels de ma lecture plutôt que de jouer à l'ordinateur; l'invitation que je vous lance à le lire; c'est le geste que je pose aujourd'hui pour appartenir au monde, c'est ma fable de la journée...

7 commentaires:

  1. Merci pour cet autre partage, ta fable de la journée.

    Je vais le lire pour sûr.

    Et, j'sais pas si tu le sais, c'est le premier livre d'une trilogie qui inclut l'œuvre The Story of B et Professeur cherche élève ayant désir de sauver le monde. Aussi, le film Instinct (1999) s'est largement inspiré de cette histoire. J'aimerais bien le regarder avec toi :-)

    Mo

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    1. Ouais, je suis bien curieux de lire Story of B.

      L'auteur a dit qqch comme "je n'arrivais plus à écrire rien d'aussi satisfaisant qu'Ishmael jusqu'à ce que j'écrive Story of B."

      On regardera ça, Instinct.

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  2. Diviser le Monde en deux, c'est pas ma tasse de thé. Takers ou Leavers, si ça existe, c'est en nous, dans des proportions variées. Enfin, je n'ai pas lu le livre.

    Il y a un autre point sur lequel je reste perpplexe: l'homme ne fait-il pas partie de la nature? Ainsi, tout ce qu'il puisse faire devrait être considéré comme "naturel". S'il détruit la planète, peu importe les motifs élaborés et les moyens utilisés, à mon sens il s'agira d'une action naturelle, tout comme tant d'animaux et d'insectes qui détruisent leur environnement. La bombe à laquelle tout le monde fait allusion depuis 60 ans est, selon moi, un dérivé naturel de l'esprit humain.

    Ainsi, la disparition de l'homme est peut-être bien secondaire et bienfaisante. Elle n'aurait rien à voir avec la disparition de notre planète. Notre planète n'en n'a rien à foutre de l'humain.

    Grand-Langue

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    1. Effectivement, Takers et Leavers, les deux sont en nous.

      Effectivement, tout ce que l'homme fait est naturel. Même détruire sont habitat.

      Effectivement, la planète n'a "rien à foutre de l'humain" , au sens ou elle lui survivra quoi qu'il fasse.

      Je doute par contre que d'autres animaux détruisent leur environnement à leur propre détriment et en ayant l'intention d'éliminer toute la concurrence... y a-t-il des animaux qui, dans leurs temps libres et hors de leur survie, éradiquent leur concurrent? L'humain part souvent en guerre le ventre plein et avec déjà bien assez d'espace territorial pour vivre heureux.

      À la lecture du livre je me demandais ceci...
      - Est-il nécessaire que notre bonheur se fasse à ce point au détriment des autres formes de vie? Au détriment des autres point?;

      - Où est-ce que je me situe comme individu sur l'échelle de Takers et Leavers?

      - Qu'il soit trop tard ou non, peu importe les chemins que les autres prennent, qu'est-ce que je veux faire de ma conscience?

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  3. Pleins d'animaux boufferont tout ce qui se trouve à leur portée, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien et que la disette mette fin à la population locale. C'est d'ailleurs la mort de ces insectes (par exemples) qui permettra à la végétation de reprendre vie. Certains nomment ça "l'équilibre".

    Grand-Langue

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    1. Ben' trop vrai, mais pas avec une conscience et une volonté de détruire pour détruire...

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