samedi 4 février 2012

j'aurais voulu être, un artiiiiiiiiiiichste


Vidangeur : personne qui ramasse les vidanges
Cuisinier : personne qui fait la cuisine
Serveur : personne qui s'occupe du service
Ingénieur : personne spécialisée en ingénérie
Artiste : personne qui fait de l'art
...

Hier, j'ai assisté à un souper de filles. Eh boy!

J'ai un ami qui rêvait de participer aux soupers de filles de ses amies. Pour sa fête, elles ont réalisé son souhait. L'affaire c'est qu'elles ont aussi invité les garçons... déguisés en filles. Quand il est arrivé, elles l'ont déguisé également. Il a eu le droit à la totale. Et nous aussi par la bande. Mascara, fond de teint, rouge à lèvre, ombre à paupières, parfum, masque de beauté, manucure (ça messieurs, ça vaut la peine!), crèmes, crèmes et re-crèmes, pour la face, les mains, les bras, les pieds, discussion à propos de la perception que la femme a d'elle-même et des autres femmes, lecture de magazines de filles, table ronde de réponses aux questions des magazines de filles, etc. La totale.

À un moment de la soirée, on jase entre filles et on arrive (sans faire exprès) à La-discussion-à-propos-des-artistes. Ceux qui côtoie de près ou de loin des artistes savent à quel point La-discussion-à-propos-des-artistes est une entité bien concrète. Il faut l'écrire de même, c'est un peu gossant, mais c'est ça (je ne l'écrirai pas une troisième fois en trois phrases, mais vous pouvez la rajouter dans votre tête). C'est un genre de variation sur un même thème, super intéressante la première fois, dont on apprend à se méfier au fil du temps et qu'on finit par redouter comme une mouffette avec la queue dans les airs. Eh bien, CONTRE TOUTE ATTENTE, celle-là été non seulement fort rafraîchissante, mais également : instructive. Noooooon? Ben oui. TRÈS.

Ceux qui me connaissent savent combien je me méfie des « artistes » (entre guillemets, mieux vaut le contenir ce mot-là, sinon il pourrait se lâcher lousse et me scrapper mon texte). Je me méfie des « artistes » comme on se méfie d'un bonhomme louche qui déambule dans un parc avec les jambes nues comme s'il faisait chaud et un manteau long comme s'il faisait froid. Pour le dire simplement, il n'est peut-être pas condamné d'avance, mais il n'a pas vraiment de marge de manoeuvre. À l'instar de mon vieux pervers, les gens qui s'autoproclament « artistes » on souvent tendance à nous déballer des choses qu'on n'a pas nécessairement envie de voir, ou le cas échéant, d'entendre. Les Artiiischstes ont une fâcheuse tendance au pétagedebroutisme, au namedroppingisme et à une couple d'autres néologismes tellement laittes que j'ai même pas envie de les inventer. Les Artiiischtes prononcent leur titre comme si ça les élevait au dessus du vidangeur, du cuisinier, du serveur et même (sacrilège!), de l'ingénieur (ne pas confondre avec les gningnégnieurs qui eux, sont les artiiiichstes de leur profession).

Affublé d'un chapeau de Fraisinette et d'une brassière rouge à 100$, complètement inconscient de mon léger préjugé, le fêté — lui-même musicien — nous parle de sa vision de l'artiste. Son discours tient à peu de chose :
« Artiste, c'est juste une catégorie de monde. Un vidangeur, c'est une personne qui ramasse les vidanges. Un artiste, c'est une personne qui fait de l'art. Plusieurs artistes se prennent trop au sérieux, mais il y a différents types d'artistes, avec différents tempéraments... comme il y a plusieurs types de vidangeurs, d'infirmières ou de serveurs. »

Pouf. Fuiiiiiiiiiiiiiiiiiii. Ça, c'était le son de ma balloune qui pète et qui se dégonfle. Une bonne chose. Il a raison le fêté. Artiste, c'est juste un mot. Certains se le sont approprié pour en faire quelque chose qui ne me plait pas et sont devenus les principaux représentant de la race, ou du moins, les plus voyants. Je peux prendre le mot et faire ce que je veux avec. Artiste, c'est une personne qui fait de l'art. Je suis une personne qui fait de l'art. J'ai passé les quinze dernières années de ma vie à jouer de la musique, composer, écrire, créer. Pendant 15 ans, je me suis donné, j'ai choisi de me donner le maximum de temps pour faire ça, en vivant d'ultra-simplicité ultra-volontaire et de pauvreté pas nécessairement nécessaire, en me faisant donner des meubles, de la vaisselle, du linge, des lifts par mes généreux amis (merci groupe), en jouant dans le métro, en refusant la majorité des compromis. Pourquoi? Pour consacrer ma vie à créer. Parce que je l'ai dans le sang. Parce que ça m'appelle pour vrai. Le blues du business man (arche!), ça ne m'arrivera jamais, même pas inquiet. Je suis à l'abris de ça pour toujours. Garanti. 100% bluesdubusinessman-proof. Je deviendrais serveur, banquier ou rédacteur publicitaire et je serais pas moins artiste. Une personne qui fait de l'art.

Mais mes découvertes de la soirée ne s'arrêtent pas là! Ma grande culpabilité au sujet d'être un artiste vient, ou plutôt venait, du fait qu'on ne produit pas quelque chose d'essentiel. Le travail de l'artiste est superflu. Je disais dans mon dernier billet que c'est la vie qui compte avant tout et qu'il faut bâtir le château à l'endroit. Il y a des gens qui meurent de faim, partout, même dans la ruelle à côté de chez nous. Il y a des malades, de la tristesse, de la guerre, [note à moi-même : insérer ici la liste exhaustive des calamités terrestres], etc. Laissez les vidanges de la ville s'accumuler pendant 6 mois et, après avoir pilé sur un rat crevé gros comme un ours, prenez une grande bouffée d'air pour voir qui, de l'artiste ou du vidangeur, fait le travail le plus important. Voilà ce que je pensais.

Hier, j'ai raconté ça à une infirmière. Une vraie infirmière là, pas un gars avec un faux suit, une perruque et un masque de co-combre. Dans son infinie bonté, elle m'a raconté le bien que les créateurs lui procurent après une journée de travail. Elle a même dit qu'elle ne pourrait pas faire son travail si les artistes n'existaient pas.

Re-pouf. Re-fuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii. Faut bâtir le château à l'endroit, d'accord. Mais tout le monde n'a pas le même rôle dans la construction du château. Tout le monde doit participer, mais tout le monde doit faire ce qu'il a à faire. Mon rôle à moi, c'est peut-être de jouer de la musique et d'écrire des textes poignants le temps que d'autres ont les mains dans le sang et dans le caca... pauvre gars! Et si je m'y attarde pour y penser, je les imagine s'acquitter vaillamment de leur tâche pendant que je fais du chichi et une petite crise existentielle tranquille au lieu de m'occuper de ce que j'ai à faire. Si j'étais à leur place, ça fait longtemps que je serais en beau fusil en train de crier : « Tu vois ben qu'on a les mains dans marde! Ça nous fait plaisir de s'occuper de d'ça, mais chante maudit : chaaaaaaante! »... et, ma colère dissipée, j'ajouterais d'une voix plus tranquille : « By the way, tu peux écrire aussi, l'un n'empêche pas l'autre, je te rappelle qu'on a les mains dans marde. »

Comme le gars qui rentre à la job à onze et quart une journée où il y a de l'overtime à faire, je terminerai cette brillante réflexion avec ceci. Merci pour votre patience tout le monde, je pense que je vais me mettre à l'ouvrage.

L'artiste.

La fameuse conversation à propos de l'art par Daro.
[Ça date pas d'hier. La ressemblance avec moi est "purement fortuite" (hum)]

2 commentaires:

  1. un gros ''statement'' ici... une autre page de tournée, Frank qui signe l'artiste! comme quoi la fameuse discussion n'es pas toujours à éviter!

    xxxx

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  2. Tout est une question d'égo.

    Je me suis souvent demandé quel est mon rôle (d'artiste?) en société? Ce n'est, pour moi, toujours pas une question réglée... ça me bloque d'ailleurs quand j'y pense. Certains artistes sont de purs excentriques et plusieurs vidangeurs font leur travail que pour la paye, il n'y a pas là de quoi porter un jugement de valeur. Un artiste excentrique peut apporter un grand bonheur et une influence artistique majeure sans souhaiter jouer un rôle quelconque (la musique en a pleins d'exemples que je vous laisse nommer). Le vidangeur est utile peu importe s'il se soucie ou pas de la propreté de nos rues.

    Ce qui me plaît des artistes c'est qu'ils ont la liberté de rêver et redéfinir ce qui nous entoure. Ils le font au quotidien et c'est un grand luxe. Certaines personnes arrivent à le faire dans d'autres professions et c'est tout à leur honneur. Refaire le monde, ça se fait aussi sur le terrain!

    Parmi ceux qui se plaisent à se dire artiste, ils ont souvent une image mythique et idôlatrée, ce qui en fait l'être inaccessible et bourgeois que tu décris bien dans ton billet. Souvent, tels des preachers, ils voguent sur l'aura qu'ils arrivent à créer autour d'eux en se donnant une image d'artiste, comme de faux «grands dirigeants» se donnent des tons de décideurs tout en ne changeant rien en réalité (la politique en a pleins d'exemples que je vous laisse nommer). Ils font cependant parler d'eux, c'est ce qui dérange le plus souvent ceux qui agissent sans chercher à inscrire leur nom dans l'histoire.

    Tout n'est une question d'égo...

    http://daroillustration.com/2010/06/06/la-fameuse-conversation-a-propos-de-lart/

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