lundi 16 novembre 2009

la glaise et l'origami

Elise écrit:
« La vie est une glaise à la fois brute et douce
qu’on façonne avec ses mains
et qu’on humecte de ses larmes
lorsqu’elle se durcit trop
et qu’on souhaite en changer la forme. »

Par moment aussi...

la vie est un papier d'origami
délicat
que l'on plie et déplie
minutieusement
absorbé et souriant
jusqu’à ce qu’elle exhausse
un bond de grenouille
un chant d'oiseau
ou un parfum de fleur

jeudi 5 novembre 2009

plume de plomb (le cri)

Le premier souci de celui qui crie n’est pas d’abord d’être entendu.
Il crie parce que ça libère.
Pour sentir sa joie ou son malheur.
Il crie parce qu’il crie.

Je bouillonne de l’intérieur depuis longtemps déjà et je ne sais pas combien de temps un cœur peut tenir, comme ça.

Chaque jour, j’aimerais être plus grand que la veille. Chaque jour je me vois bâtissant quelque chose. Chaque jour, les plans que j’ai sont plus grands que les moyens dont je dispose. Chaque jour je me prépare, chaque jour j’attends.

Chaque jour je reporte un rêve et chaque jour se lasse d’attendre le cri.

Le fameux cri qui dit qu’une nouvelle âme a vu le jour. Qu’elle a faim, qu’elle a soif et qu’elle peut tout. Qu’elle n’a pas les moyens mais qu’elle pourra apprendre et que le chemin n’est pas encore important à cette heure.

Toute ma vie, je l’ai prise par la tête.
Toute ma vie, j’ai été intelligible sans vraiment être compris.

Très tôt, on m’a appris à dire, à nommer, à comprendre. J’ai essayé d’écrire avant de savoir dessiner, je le jure. Mes premiers dessins étaient des petites vagues. Vagues imitations d’écriture sur des pages et des pages. Avec comme résultat que je manie les mots sans me forcer. Avec comme résultat que ma plume de plomb peut suivre les battements d’un cœur comme les battements d’une aile…

Aujourd'hui, je vais lui donner l’espace pour voler.

Je ne chercherai plus l’écho avant le cri.

Tu me suivras si tu veux, avec les mots et les détours que j’ai à prendre. Je n’essaierai plus jamais de pénétrer dans ta tête et de te faire suivre malgré toi, by a twist of the mind.

Je m’écris donc, et voici : plume de plomb.

mercredi 4 novembre 2009

la proie

Jeudi 25 octobre 2001, 17h43 à 18h13

Les gens étaient pressés. Certains se rendaient quelque part, d'autres ne se rendaient nulle part, mais tous se rendaient rapidement, indifféremment de l'origine ou de la destination. J'étais moi-même en retard et je n'avais pas encore aperçu la jeune femme bien que nous soyons assis côte à côte. Le métro arriva, énorme serpent bleu et blanc. Il expulsa un flot de passagers comme s'il s'agissait de sa progéniture trop longtemps couvée. Il les laissa sortir, petits et frêles, indifférent à leurs angoisses individuelles, plutôt content même d'être soulagé de ce poids inutile. Les rejetons se mirent à courir en tous sens en quête d'un abri. D'autres, n'ayant pas atteint leur maturité, choisirent de se terrer dans les entrailles de la bête en attendant leur heure pour se jeter dans ce monde tumultueux où l'on découvre à chaque coin de rue si l'on est proie ou prédateur en fonction des rencontres que l'on y fait. Nous allâmes nous joindre, elle et moi, à cette masse anonyme. De côte à côte que nous étions, nous nous retrouvâmes nez à nez. C'est ainsi que débute l'histoire.

Nez à nez. Elle était là, juste à côté. Je tentai un semi-dérobé : une technique pratiquée par les timides depuis des générations s'étant perfectionnée et élevée au niveau d'un art avec les années. La tactique est fort simple à la base. Il s'agit d'un premier coup d'œil rapide permettant deux actions ; d'abord de battre rapidement en retraite en détournant la tête si la personne visée regarde dans votre direction et/ou semble éprouver des réticences à être ainsi placée sous votre regard ou, si vous êtes plus chanceux et qu'elle regarde ailleurs, de vous lancer dans une observation un peu plus minutieuse. À partir de cette tactique de base, des théoriciens peu doués pour la pratique firent toutes sortes de nuances et élaborèrent plusieurs variantes complexes dont les applications sont aussi nombreuses qu'inutiles. La demoiselle étant très près et mon perfectionnement dans l'art du semi-dérobé et mon audace étant à un niveau plutôt médiocre, je m'en tins à la technique de base, à savoir : un simple coup d'œil. Il toucha la cible. Je me préparai à détourner les yeux… elle ne regardait pas ! Je me lançai donc dans une observation plus détaillée.

Son visage. La fille était très jolie. Pas de cette beauté sublime qui vous renverse, vous fait perdre à la fois l'usage de la parole et de l'ensemble de vos membres à l'exception de quelques heureux élus qui se dilatent pour qu'on les sache encore en état de fonctionner… les pupilles par exemple. Pas de cette beauté sublime mais intouchable et insipide qui n'existe que pour elle-même et que certains, comme un ornement banal, s'enchaînent au bras ou au cou selon leur tempérament. Pas non plus de cette beauté sublime que l'on conserve jalousement loin du monde, comme les trésors de pirates jamais dépensés et pour lesquels les forfaits commis pour les posséder ne voient jamais leur récompense. Plutôt de cette beauté sublime dans sa simplicité, que l'on sait belle même au sortir d'une nuit sans sommeil, que l'on sait belle même répétée dans des gestes anodins, que l'on sait belle même dans ses imperfections. Je continuai de l'observer. Son habillement était un mélange légèrement hétéroclite ; sobriété pour la coupe et provocation pour la couleur. Il en allait de même pour les artifices. Elle portait des boucles d'oreilles en anneaux mais elle s'était gardée de peindre ses lèvres ou ses doigts ; même du rouge commun auquel on préfère maintenant n'importe qu'elle autre couleur en autant qu'elle ne s'approche en rien de la couleur originale de l'endroit où on l'applique. Heureusement, elle ne portait pas de ces affreux souliers plate-forme, seul moyen que certains possèdent aujourd'hui pour élever leur âme et que l'on bâtit de plus en plus haut comme on le faisait pour les cathédrales du Moyen âge. Je me demandai au passage quand nos savants auraient déterminé si l'habit fait le moine, s'il ne le fait pas, si le moine fait son habit lui-même ou encore si les moines, ayant fait vœux de pauvreté, ne prennent que l'habit le moins cher sans autre forme de préoccupation. D'un autre côté, on doit pouvoir reconnaître l'arbre à ses fruits mais, dans ce cas-ci, je ne reconnaissais pas même le fruit. Je n'étais guère avancé.

Ce bref survol terminé, je laissai mes yeux remonter jusqu'aux siens. Je déglutis… Ses yeux ! Ils me braquaient ! Je pris une profonde inspiration… Tout allait bien, il semblait que tous mes organes étaient encore en état de fonctionner et que les plus orgueilleux ne se laissaient pas gonfler par leur vice. Je me permis un sourire timide. Elle me répondit comme un miroir, à cela près qu’elle n’était pas gênée le moins du monde. Devais-je détourner le regard ? Nous étions très loin du semi-dérobé. Il s'agissait cette fois d'un regard franc et soutenu. Quelques secondes s'écoulèrent, lentes, à la fois agréables et dérangeantes. Le flot de mes pensées fût interrompu, momentanément court-circuité par l'intensité des regards quand soudain… NA ! Elle me fit une grimace. Je détournai aussitôt les yeux, pris de panique comme un rongeur à l'approche du serpent. J'étais tout à fait surpris. Je ne m'attendais pas à cela. C'était une grimace tout à fait charmante, complice. Très loin de l'image du serpent en fait. Mon sourire s'élargit malgré ma stupéfaction. Je devais retourner à mon interlocutrice visuelle pour dénicher l'intention de ce geste. Elle me regardait encore par coups brefs, souriant toujours. Son expression semblait indiquer la satisfaction mêlée de coquinerie, elle ne semblait nullement effarouchée. Nous jouions au chat et à la souris en se demandant qui des deux chassait qui.

Je n'en pouvais plus. Je devais saisir cette occasion en or… si l'occasion fait le larron, il n'y avait pas plus larron que moi à cette heure! La grimace était trop belle et, à moins que je ne me méprenne complètement, elle m'invitait à lui parler. Ma gêne, discrète comme une fanfare de mardi Gras dans une bibliothèque, tentait de m'en dissuader. Je réussis à la repousser tant bien que mal. Je devais dire quelque chose, mais quoi ? La file de postulants du côté des phrases préconçues était déjà interminable et continuait de s'allonger. Aucun ne semblait apercevoir l'écriteau leur annonçant qu'ils n'étaient pas les bienvenus. Côté originalité, c'était la misère. Les bonnes idées me fuyaient comme des soldats en déroute sur un champ de bataille effrayés par la témérité de leur général. Ce dernier, faisant preuve du grand courage de l'homme qui observe (idéalement à l'aide d'une longue-vue et un cigare en bouche) les fantassins se faire massacrer, ne lésine habituellement pas sur les sacrifices ; cela lui vaut, en contrepartie, d'être abandonné par ses meilleurs éléments au moment critique. Dans la débandade, les quelques phrases brillantes n'ayant pas encore déserté s'étaient mêlées aux clichés dans un effet d'entraînement dû à la panique et j'allais devoir choisir une volontaire dans ce tas informe. Je rejetai les premières en ligne, franchement prévisibles et irréfléchies. Je fis de même avec les dernières. Celles-ci ayant mis plus de temps pour se mettre en branle, résultats de mon imagination fertile, risquaient d'être longues et peu cohérentes.

Nous nous regardions toujours en souriant, j'ouvris la bouche et laissai quelque chose s'échapper avec inquiétude :
- Arrête, tu me gênes, lui dis-je d'un ton l'invitant à n'en rien faire. J'arrêtai aussitôt de parler, en espérant qu'elle saurait continuer la conversation malgré la piètre approche.
- C'est toi qui as commencé, me répondit-elle.
Je me disais qu'elle avait raison. Je ne voulais cependant rien faire de mal en la regardant. C'était venu spontanément mais elle ne devait pas savoir que c'est précisément elle que je regardais. Je laisse souvent mon regard déambuler, mais il est rare que j'observe avec une telle précision.
- C'était plus fort que moi.
- De regarder les gens ?
Les gens… merci, elle restait loin de nous deux dans ses propos. D'un autre côté, j'aurais apprécié que la conversation prenne une tournure légèrement plus personnelle. J'étais confus.
- Oui ça m'arrive souvent.
- Les gens qui regardent beaucoup sont souvent ceux qui ont peu de choses à dire.
Cette dernière phrase me fit le même effet que la grimace. J'étais effrayé et déstabilisé, mais charmé. Je me questionnais : "Est-ce une invitation à poursuivre ou à rompre l'engagement ? Est-ce une technique pour décourager les Don Juan de bas étage ou un défi pour un héros digne de ce titre ?" Je ne m'identifie ni au premier ni au second, bien que je tienne un peu de chacun. J'avais investi trop de courage pour débuter l'opération, je ne pouvais rebrousser chemin devant une si petite embûche. J'étais un peu piqué dans mon orgueil. Il est faux de croire que je n'ai rien à dire, certains me trouvent même un peu spirituel. Mais comment le lui faire comprendre? Bien que j'ignorais tout de la stratégie de la jeune femme, je m'interrogeais à savoir si je n'étais qu'un pion entre des mains habiles et si c'était elle qui menait la danse ou si elle pensait sensiblement les mêmes choses que moi. "Enfin, me dis-je, dansons encore un peu".
- Ce n'est pas nécessairement vrai que les observateurs n'ont rien à dire. Je regarde souvent les gens mais il est rare que je suscite une telle réaction. Cette grimace va me faire sourire jusqu'à ce que j'arrive à la maison.
Qu'est-ce que c'était que cette dernière phrase ? Un cul-de-sac. Effectivement, on ne se dit plus rien qui vaille la peine d'être mentionné. Encore cet étrange malaise. Souhaitait-elle mon départ ou aurait-elle aimé que nous puissions reprendre le dialogue ?

Je voyais les stations de métro défiler avec inquiétude. Ah, qu'il était bon le temps des voyages en calèche et des moyens de transport peu fiables! Qu'il était triste de savoir que nous arriverions à destination sans encombres! Ce faisant, nous continuions de nous observer et de nous sourire. J'aurais voulu dire quelque chose mais mon courage m'abandonnait faute de mots. J'avais beau chercher, elle ne se trouvait pas dans ma tête cette phrase qui marquerait l'histoire. Enfin, je pouvais toujours profiter de la vue splendide de ses yeux intelligents et sensibles et me laisser bercer par le charme de l'instant.

Merde ! Ma station…

Sa station ! Nous nous souhaitâmes un timide bonjour et partîmes dans la même direction pour notre correspondance. Nous étions toujours côte à côte mais je savais que je risquais à tout moment de la voir s'engouffrer dans le mauvais tunnel ou le mauvais train. Je la suivais, ou peut être était-ce elle puisque j'allais de toute façon dans cette direction. Nous arrivâmes à l'escalier roulant, sur la même marche. Mes idées et le temps étaient très vaporeux. Je n'arrivais à mettre la main sur ni l'un ni l'autre et ils filaient plus vite encore que l'escalier, que nos pas ou que le métro. Je la contemplai fixement, ayant perdu espoir de relancer la conversation, moi qui suis si volubile d'ordinaire.
- Moi, ça ne me gêne pas, me dit-elle en faisant référence à la phrase que j'avais utilisée pour débuter la conversation.
Je devais lui demander son nom et son numéro de téléphone. Que souhaitait-elle de son côté ? Je devais l'inviter à souper ou à prendre un café. Je n'aime pas le café. J'essayais de me déjouer moi-même, je tuais le temps plutôt que de tenter quelque chose. Je me perdais en conjectures et ma bouche demeurait close. Pourtant, je ne souhaitais faire de cette personne ni mon amante ni mon épouse; je voulais seulement la connaître… mais elle me plaisait tout de même.

Un dernier escalier. À quatre marches de distance. Elle me devançait. Si mes yeux avaient été des aimants, ils faisaient preuve d'une telle activité à ce moment que nous nous serions soudés l'un à l'autre. En réalité, si mes yeux avaient été des aimants, ils seraient allé se coller aux marches de métal et j'aurais été enseveli sous un tas de babioles colorées que les gens portent et transportent… mais je n'apprécie pas le drame au point de terminer ainsi ma courte existence.

Un dernier couloir. Un dernier quai. À cinq pas l'un de l'autre. Le contact était maintenant intermittent. Un adolescent désabusé nous cachait la vue en se faisant un devoir de cracher régulièrement sur le rail de métro pour qu'on n'oublie pas à quel point il méprise la société et à quel point il en est distant. Mon inconscient lui souhaita de faire un jet de salive assez long pour le relier au dit rail et le foudroyer sur-le-champ alors que ma conscience n'avait d'attention que pour la demoiselle.

Le métro arriva. Nous entrâmes dans le même wagon mais par des portes différentes. À quelques mètres de distance, nous parvenions difficilement à nous apercevoir parmi cette foule dense et nous franchîmes trop rapidement les quelques stations me séparant de mon arrêt final. Le métro s'arrêta, énorme serpent bleu et blanc. Il expulsa un flot de passagers comme s'il s'agissait de sa progéniture trop longtemps couvée. Il nous laissa sortir, petits et frêles, indifférent à nos angoisses individuelles, plutôt content même d'être soulagé de ce poids inutile. Les rejetons se mirent à courir en tous sens en quête d'un abri. Je me retournai pour les observer, elle et les autres qui, n'ayant pas atteint leur maturité, choisirent de se terrer dans les entrailles de la bête en attendant leur heure pour se jeter dans ce monde tumultueux où l'on redécouvre à chaque coin de rue si l'on est proie ou prédateur en fonction des rencontres que l'on y fait.

à la dérive

Je me réveille, lendemain de veille, en pensant que le soleil entre dans ma chambre alors que c’est ma lampe de chevet qui me tue les yeux ; j’étais trop saoul pour l’éteindre. Je m’accroche à quelque chose pour pas que ça bouge trop : mon lit, mon oreiller, la chaise, le cadre de porte. J’avance du mieux que je peux, comme une chaloupe à une seule rame. Je pense du mieux que je peux, le cerveau comme une éponge trempée dans la mélasse… la matinée va se vivre à la seconde.

Boire. N’importe quoi que je n’ai pas bu hier. Ma juste part du St-Laurent surtout.

Après avoir bu beaucoup d’eau, pris des comprimés pour le mal de mer et rebu beaucoup d’eau, je reviens à mon lit par le chemin inverse et je repense à hier.

Le problème avec moi, c’est qu’elle cache mal son amour des autres. Elle est partie depuis deux mois seulement et elle est tombée amoureuse quelques fois déjà. J’ai été chanceux: les premières fois c’était des clans, des jeunes, des vieux, des filles… mais hier, TAC.

Elle m’a contacté avant-hier et me l’a présenté, à l’écran. Pour me le rendre inoffensif, en faire mon ami même. Elle l’a touché, a fait des blagues pour me montrer que c’est le genre de gars avec qui on peut se permettre ça. Hier, elle devait travailler, occupation sacrée entre toutes qui, à Montréal, peut perturber les sorties prévues, lui faire oublier de manger, de boire, de dormir, de se laver… bref, lui faire arrêter tout ce qui n’est pas du boulot. Hier, elle n’a pas travaillé, elle est allée faire du vélo avec lui. « C’était génial », de son propre aveu. Elle n’a pas donné d’autre signe de vie que ce mot trop bref, se terminant par des baisers trop gros.

Dans mon imagination retournée, trop labourée et trop fertile je ne vois qu’une chose positive : la clarté brute du signal. Je sais qu’elle ne me veut aucun mal alors si elle est si peu discrète, c’est qu’elle veut que je sache… soit parce qu’il n’y a vraiment pas matière à s’inquiéter ou encore qu’elle se sent succomber et qu’elle veut que je nous sauve. Quand on a la main coincée dans un engrenage qui peut nous avaler tout entier, on appelle à l’aide.

Mais voilà, à l’autre bout du monde je perds du magnétisme, du pouvoir, du contrôle… et je l’aurai bien cherché. J’étais tanné d’être perçu comme l’empêcheur, l’obstacle. J’ai dit : « si ce voyage est important pour toi, fais-le ». J’avais une bombe à retardement sur les bras et elle m’a proposé d’aller exploser ailleurs. J’ai dit oui. Oui, en ayant l’impression de jouer à quitte ou double. Oui, en sachant qu’à presque que 29 ans, quand on quitte son boulot et son conjoint pour n’importe quel ailleurs, il y a des chances de ne pas revenir. Je la suis à distance. Dans ma longue-vue, j'aperçois son petit radeau affronter des tempêtes qui ne sont pas les miennes mais que nous aurions pu affronter à deux… si nous avions voulu tous les deux un peu plus.

5 wakkertsraat, Amsterdam.

5 wakkertsraat, Amsterdam.

Je descends les adresses depuis Middenweg, le chemin du milieu. Le chemin du milieu est peuplé de boutiques coquettes et de gens à vélo et en tram ; les voitures existent, mais tellement moins que chez nous. Je tourne à gauche au coffee company, on y viendra si tu veux. Wakkerstraat, la rue du marcheur ; je ne connais pas la langue alors je l'invente.

Je passe devant tes points de repères. Le coiffeur « les jumeaux », en français, j'aurai pas à tout inventer. La maison noire et blanche, neuve et jolie. Et me voilà au 5.

Le 5 wakkertsraat est une maison étroite de 4 étages. Le rez-de-chaussé, crème, compte deux portes, ébènes, très étroites et une fenêtre à droite, plus large et plus haute que les deux portes réunies.La porte de droite permet d'accéder à une petite pièce que l'on voit par la fenêtre. La porte de gauche mêne à l'étage.

À l'étage il y a cette fille, que je ne pourrai pas voir, qui lance des signaux de détresse, qui est seule et grande et belle. Cette fille qui ne sait plus si elle veut être exaltée. La vie vient de l'amèner au noyau, entre la fille qu'elle est, et celle qu'elle rêve, entre le possible, sur lequel on s'assoit, le mieux, qui se touche du bout des doigts, le meilleur, qui exige une présence constante et le parfait, qui n'existe pas mais... elle est là, plantée, au milieu de toutes les routes du monde.

Je suis si loin et si près d'elle en ce moment même, je l'aime. Je l'aime d'être à ce point crucial. Je l'aime d'être calme et animée à la fois. Je l'aime d'envisager l'irréel sans couper le cordon avec la terre. Je l'aime parce que je la connais, parce que je la devine, parce que je la sens et parce qu'en même temps, je n'ai aucune espèce d'idée... ni des trouvailles, ni du chemin qui vont suivre.

Aujourd'hui, je ne suis pas ta boussole, mais plutôt ta petite babiole de verre « Montréal » avec de la fausse neige. À garder près du coeur pour savoir que, non, t'es pas seule, oui, t'es perdue... mais t'as toujours des racines quelque part. Pas seulement en toi, chez les autres aussi.

Je t'aime donc et j'ai hâte d'avoir des nouvelles.