dimanche 23 janvier 2011

aimer la ville

Il y a des gens pour qui la ville n’est qu’une immense ruine froide peuplée de zombies. À la base, il n’y a que la solitude, qu’on cache derrière des murs, eux-mêmes encadrés par des rues, noyées de bruit, le tout captif dans son aura de smog. Enlevez toutes les couches, disent-ils, vous aurez cent mille poupées russes éventrées et une, minuscule, en train d’accoucher du néant.

J’ai vécu avec la ville assez longtemps pour me demander si je l’aimais encore. Pour l’aimer, il faut la voir à la bonne échelle et faire cela : vivre en elle, avec elle et hors d’elle tout à la fois. Prenez un peu de recul et la ville n’est rien qu’une fine pellicule de ciment posée sur la terre, avec des dinosaures dessous et la galaxie autour. Zoomez suffisamment près et elle n'abrite plus que les tourments et les joies d’un seul cœur, deux si vous êtes amoureux.

Le reste du temps, ne vous laissez pas distraire par le tumulte. Les voitures, les marteaux piqueurs, les sirènes, le pas cadencé des gens dans les tours à bureaux, les inconnus du métro, la publicité et la crasse, ça n’est rien tout ça, c’est le bruit des cigales. D’ailleurs, même en ville, les cigales, les vraies, sont souvent plus bruyantes que l’autoroute.

Pour aimer la ville, il faut la penser comme un village, comme une campagne. Il faut s’apercevoir que l’on connaît tout le monde, que le soleil est le même, que les érables à l’automne perdent leurs feuilles rouges et jaunes aussi bien sur le béton que sur la terre humide et que partout, les feuilles font un son agréable lorsqu’on les piétine.

Pour aimer la ville, il faut accepter sa nature, apprécier d’avoir un million d’âmes à portée de main, pouvoir se glisser dans la multitude et s’en extraire, aimer les enchevêtrements complexes avec sa tête, avec son coeur et avec ses sens.

Pour ne plus craindre d’être happé par la ville, il faut être aussi grand et aussi petit qu’elle. Souvent, j’aimerais avoir voyagé d’avantage, avoir escaladé plus de montagnes et vu plus de lieux différents mais certains matins, je reconnais ma chance… hostile comme elle est, pour aimer la ville, il faut faire un assez long voyage en soi-même, il faut aimer la vie aussi.