samedi 5 février 2011

le poids du sable

Sans le retourner, j'ai déposé sur ma table de chevet un petit sablier ; juste à la hauteur de mes yeux.

En ce moment, mon visage est si près de la fine parois de verre que j'ai presque l'impression d'être à l'intérieur.

Supposons que l'on puisse compter un à un les grains de sable tombant au fond d'un sablier et, simultanément, prendre une photographie n'importe où sur la terre.

J'ai le vertige. Combien de grains de sable dans une minute?

Certainement beaucoup plus que de jours dans une vie. Tant pis, je le retourne.

Grain 1. Seul dans mon lit, samedi matin, avec l'odeur des draps et la pénombre. La chambre est étroite et réconfortante.

En même temps que tombe le deuxième grain, un homme a perdu pied dans une échelle au Vietnam. Il se réincarne en touchant le sol.

Grain 3, une naissance donc.

Puis, un banc de poissons qui change de trajectoire.

L'herbe pousse.

Une poignée de main ridée entre deux frères qui se sont vus la veille.

Le sang s'écoulant normalement dans une veine.

Le même sang sur un écran d'ADN.

Grain 9. Maïs à 13 la douzaine.

Grain 10. Un compte à rebours avant une course de chevaux.

11. Près de chez nous, c'est encore l'hiver.

La tension monte dans une salle de nouvelle.

Des fourmis transportent trois morceaux de mouches.

Les ciseaux d'acier sont retournés sur le coussin et les dignitaires montent l'escalier de la nouvelle bibliothèque en piétinant un ruban rouge en deuil.

Dans sa voiture, un homme replace ses lunettes sur son nez en attendant au feu de circulation.

Un petit météore s'écrase sur Pluton.

Ça y est, j'ai quitté la terre. Si facile de perdre le fil.

Je reviens, en passant par Jupiter qui, elle, est encore une planète.

Le sable s'écoule en cascade. Combien de grains n'ai-je pas vu tomber? Dix mille? Cent? Quelques grammes.

Le temps sous la chute, impossible focus.

Je suis aspiré de l'autre côté de la paroi de verre, de retour dans ma chambre.

J'observe le monticule de sable, un volcan minuscule en train d'imploser. Combien d'univers se fabriquent et s'écroulent dans une seconde d'inattention?

4 252 095 771... au moins.

3 commentaires:

  1. Tu es vraiment extraordinaire!! Merci!

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  2. Émia, c'est vraiment encourageant et ça donne envie d'écrire plus, merci de te donner la peine de le dire!

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  3. Beau, toujours beau. J'aimerais être abeille pour transporter tes mots et tes images dans des âmes-fleurs, des têtes et des coeurs ouverts à de telles réflexions et poésies.
    Mo xx

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